Traduction Tech veganism
Ceci est une traduction d’un article originellement en anglais, léger, sur le thème de l’éthique individuelle numérique.
https://nolanlawson.com/2019/05/31/tech-veganism/
Il y a un an, j’ai écrit un article de blog sur la vie avec un téléphone open-source. Un commentateur sur Reddit a décrit cela comme du “véganisme technologique”, et j’ai trouvé que c’était une excellente métaphore.
Ces dernières années, j’ai beaucoup évolué dans les cercles du “véganisme technologique” (principalement à travers Mastodon), donc je pense avoir maintenant une bonne définition :
- une préférence pour les logiciels open source par rapport aux logiciels propriétaires ;
- une méfiance envers les grandes entreprises technologiques ;
- une exigence élevée pour la confidentialité et la sécurité.
Le parallèle avec le véganisme est judicieux pour plusieurs raisons. De nombreuses personnes trouvent les végans agaçants : “Quoi, tu te crois mieux que moi ?“. Il est beaucoup plus facile de consommer des produits animaux si l’on ne pense pas à leur provenance, et les végans sont un rappel désagréable des origines peu ragoûtantes des aliments. De plus, il n’est jamais agréable de penser que quelqu’un pourrait vous juger silencieusement pour vos choix de vie personnels.
Imaginez maintenant quelqu’un vous disant qu’il n’utilise pas Google, Facebook, etc. “Quoi, tu te crois mieux que moi ?”
Deuxièmement, les gens ne choisissent généralement pas le véganisme technologique parce que c’est une meilleure expérience utilisateur. Même si certain·es végans peuvent jurer que leur burger aux haricots noirs a aussi bon goût que votre bœuf Angus, les plus honnêtes reconnaîtront que c’est plus une question de principe que de palais.
Il y a de nombreux végans technologiques qui affirmeront que OpenStreetMap est un excellent remplacement de Google Maps, ou que DuckDuckGo fournit de meilleurs résultats de recherche que Google. Mais s’ils sont honnêtes avec eux-mêmes, ils admettront qu’ils sont plus motivés par le principe que par la qualité ou la commodité.
Troisièmement, le véganisme technologique est un bon moyen de se couper des gens. En en parlant suffisamment, vous risquez d’être accusé·e d’être trop morose, négatif·ve, cynique, etc. Ne pouvez-vous pas simplement manger un burger et en profiter comme une personne normale ? Pourquoi devez-vous toujours évoquer l’élevage industriels et gâcher mon repas ? De même : pourquoi ne pouvez-vous pas utiliser Google comme une personne normale ? Pourquoi devez-vous sans cesse parler de LibreOffice et d’OpenBSD ?
Le véganisme technologique peut même vous faire perdre des amis. De la même manière qu’avoir un·e végane dans le groupe limite considérablement vos choix de restaurants, être le seul végane technologique parmi vos ami·es peut vraiment réduire les options pour les applications de communication. Bien sûr, vous pouvez leur demander d’utiliser Signal. Ou le courrier électronique. Mais très probablement, le chat de groupe se fera sans vous, et vous ne recevrez aucune invitation Facebook.
Quatrièmement, dans certains cas, le véganisme technologique est difficile, voire carrément impossible. Si vous avez déjà essayé de devenir végane (note : je l’ai fait), vous constaterez que c’est un combat constant de lire les listes d’ingrédients pour trouver les références cachées au lait, aux œufs, au poisson, etc. (Certaines choses surprenantes qui ne sont pas véganes : la sauce Worcester, le kimchi, ou même le sucre.) Et une fois que vous voyagez dans un pays étranger, vous pourriez vous retrouver à survivre avec du pain et de l’eau, ou bien à complètement laisser tomber et prendre un croque-monsieur.
Il est presque impossible d’éviter les logiciels propriétaires ou les géants de la technologie. Prenez cette conférence du FOSDEM, où la directrice exécutive du Software Freedom Conservancy admet avoir un logiciel propriétaire intégré dans son corps, car c’était la seule option pour un défibrillateur. Elle défend les logiciels open source, et pourtant, malgré ses meilleurs efforts, elle est une cyborg à source fermée !
Essayez d’éviter Google ou Amazon et vous pourriez vous trouver dans une situation similaire. Il y a une excellente série d’articles de Kashmir Hill où elle montre qu’il est presque impossible de se passer des géants de la tech à cause de leur omniprésence dans chaque application, site Web et requête réseau. Il est plus facile de trouver quelque chose de vegan dans un churrascaria brésilienne que d’éliminer les grandes entreprises technologiques de votre régime internet.
Une autre similitude : tout comme il y a plus de végétariens en Inde, le véganisme technologique peut être étonnamment spécifique à une région. En particulier, les Européens ont plus de raisons que les Américains d’embrasser le véganisme technologique, car les géants de la tech non chinois – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, les redoutés GAFAM – sont tous étatsuniens.
La domination des plateformes technologiques étatsuniennes en Europe, particulièrement du fait que toutes les données européennes soient aspirées vers la Silicon Valley, peut être perçue comme une question de souveraineté nationale. D’où le fait que la France opte pour le projet open source Matrix pour les communications gouvernementales, ou que des organisations comme Framasoft se présentent comme un petit village d’Astérix résistant aux envahisseurs étrangers.
Un endroit où la métaphore du véganisme se brise c’est que, bien que presque n’importe qui puisse être vegan, le véganisme technologique est principalement pratiqué par ceux qui sont assez experts ou privilégiés pour apprendre les subtils moyens détournés d’éviter les GAFAM du monde. Configurer un ordinateur portable Ubuntu, un téléphone LineageOS, un compte Fastmail et les relier ensemble pour réellement recevoir des notifications de calendrier n’est pas une mince affaire. Vous devrez probablement vous salir les mains en ligne de commande.
Je trouve qu’il y a un peu une attitude “qu’ils mangent de la brioche” parmi les défenseurs du véganisme technologique, car ils sous-estiment souvent la difficulté de tout cela (“qu’ils utilisent Linux” pourrait être un refrain approprié). Après tout, ils ont réussi à le faire, alors pourquoi pas vous ? Quoi, tout le monde n’a pas un diplôme d’informatique et six ans d’expérience en tant qu’administrateur système ?
Pour être vegan, il suffit d’arrêter de consommer des produits d’origine animale. Pour être vegan technologique, vous devez rejoindre une élite de sorciers de la technologie et maîtriser leurs arts secrets. Et même là, vous vous autorisez probablement de temps en temps une bouchée interdite de Google ou d’Apple.
Alors où en est le véganisme technologique ? Eh bien, à court terme, il restera probablement l’apanage des geeks et des spécialistes en raison des difficultés décrites ci-dessus. Ironiquement, cela signifie qu’il s’agira principalement de travailleurs de la tech construisant des produits que d’autres travailleurs de la tech refusent d’utiliser (imaginez si le véganisme n’était pratiqué que par les employés des entreprises de viande.)
Je pense aussi que le véganisme technologique commencera à évoluer, si ce n’est déjà fait. Je pense que l’accent sera moins mis sur l’open-source contre le code fermé (la bataille de la dernière décennie) et plus sur le bien-être numérique, en particulier en ce qui concerne la confidentialité, la dépendance et la sécurité. Ainsi, il s’agirait moins de passer de Windows à Linux et plus de passer d’Android à iOS, ou de Facebook à des canaux plus privés comme Discord et WhatsApp.
La génération Z a grandi avec les smartphones et les app stores comme un fait incontournable de leur vie. Y a-t-il vraiment quelqu’un de moins de 21 ans qui se soucie que le code de son téléphone soit open-source et qu’il puisse, à la manière de Stallman, plonger dans un fichier Objective-C et y changer quelque chose ? Probablement pas beaucoup. Y a-t-il quelqu’un dans cette tranche d’âge qui se soucie de l’impact de son téléphone sur son anxiété, de passer du temps de qualité avec ses ami·es et sa famille, et sur sa sécurité face au harcèlement et aux abus ? Probablement beaucoup plus.
À mon avis, ce changement est une bonne chose. Vous ne devriez pas avoir à entrer dans une élite sacerdotale technologique juste pour préserver votre vie privée, votre sécurité et votre sécurité en ligne. Le véganisme technologique devrait être aussi simple que le véganisme régulier – ce devrait juste être une option sur le menu. Cela ne signifie pas qu’il n’aura pas les mêmes problèmes que le véganisme classique, mais au moins il sera démocratisé.